Mon fils de 14 ans a été puni de deux heures de colle car pendant la récréation il a dessiné un pénis sur le tableau de la salle de classe. Le directeur m’a en outre informée que la professeure qui avait découvert ce dessin « s’était sentie mal à sa vue ». S’il récidive, il sera exclu de l’école pendant trois jours. Que pensez-vous de cet incident ?
Mon premier réflexe de psychanalyste a été de pouffer de rire, face à la farce de cet adolescent.
Ensuite je me suis posé la question du pourquoi de cette sanction ? Mais avant pourquoi dessiner un pénis ? Enfin quelle réaction est la plus adaptée et pourquoi ?
Pourquoi dessiner un pénis ?
Un garçon de 14 ans est en pleine maturation sexuelle. C’est un adolescent qui est travaillé par les hormones et qui se pose consciemment ou non un tas de questions sur la sexualité, sur son identité, sur sa vie future avec un ou une autre que lui.
Cette énorme mutation va s’exprimer par des actes qui sont d’ailleurs très courants comme de dessiner des pénis sur les tables de classe, les tableaux mais aussi dans le sable ou comme un de mes analysants du même âge qui dessinait des pénis sur les vitres embuées. Rien de plus normal car ces dessins affirment son identité sexuelle. Je suis un Homme, j’ai un pénis. Et je l’affirme haut et fort. Surtout si je me sens encore traité comme un enfant alors qu’en moi tout bout et change. Cette revendication est donc une affirmation forte de sa masculinité. En tant que psychanalyste, je trouve cette réaction plutôt saine.
Je souhaite faire un distinguo entre ces dessins puérils, bon enfant, et évidemment des actes qui enfreignent les bonnes mœurs comme par exemple de mettre incognito des photos pornographiques sur les tables de classe ou de s’exhiber nu. Cela relève de sanctions pénales. Ici nous sommes sur un tout autre registre.
Conséquences de la punition
Punir ces jeunes garçons revient, pour moi, d’essayer d’une certaine façon de les castrer dans leur identité de mâle. C’est leur dire que ce qui se passe en eux ne nous intéresse pas.
C’est aussi leur apprendre que leur pénis est une partie de leur corps qui est honteuse, qu’on ne doit pas montrer sous peine de malaise de ceux qui voient ces dessins.
Or un garçon se construit à travers son pénis. C’est ce qui le caractérise, le différencie des filles qui n’ont pas cet attribut. Ils en sont fiers. Les punir, c’est casser cette fierté, mettre le doute sur cet organe et instiller l’idée que cette chose est moche et qu’on se doit de la cacher, voire d’en avoir honte. Là encore je tiens à préciser que je parle de leur perception intime concernant leur pénis. Il ne s’agit évidemment pas d’encourager des actes punis par la loi comme par exemple s’exhiber.
Le malaise de la professeure
Il est intéressant de remarquer que c’est une femme qui a découvert ce dessin. La réaction de cette femme parle d’elle. Elle a un gros problème avec le sexe masculin car la vue d’un simple dessin lui cause un malaise. Réaction complètement disproportionnée à mon sens. Cette femme est profondément blessée dans son rapport aux hommes. Je lui conseillerais vivement de faire un travail psychanalytique axé sur sa sexualité et son rapport au masculin.
Pourquoi cette sanction ?
Cette sanction est d’abord dictée par la morale judéo-chrétienne qui considère que nos sexes sont sales, honteux et qu’il faut les cacher. Cette honte est décrite dans la Bible lorsque Adam et Eve sont chassés du paradis et qu’ils sont saisis par la honte à la vue de leur nudité. Ils vont à partir de cet instant se vêtir et cacher leur sexe. Nous sommes consciemment ou non imprégnés par cet interdit.
Mais qu’en est-il des représentations de la nudité, en peinture, sculpture et dessin sur un tableau de classe ?
Si je suis la décision du directeur de l’école, je demanderais la destruction des peintures, des sculptures exposées dans les musées. Elles peuvent provoquer des malaises chez les visiteurs. Le tableau L’origine du monde de Courbet devrait être détruit tant il est violent de dessiner ce sexe de femme en gros plan. Il faudrait vêtir les statues grecques et interdire tous les nus. Je ne vais pas continuer à souligner le grotesque de cette situation. Sommes-nous encore à un stade rétrograde dans nos écoles, dans cette école ?
Le directeur de l’école a été en quelque sorte obligé de sévir car le malaise de cette enseignante demandait une réaction forte. Et sans doute, la bienséance exigeait une sanction, car cela ne se fait tout simplement pas de dessiner un pénis sur le tableau.
La bonne réaction
Ma première réaction a été de sourire de cet incident, ensuite j’ai eu de la tendresse pour ce garçon qui revendique sa masculinité haut et fort. Il s’agit par notre réaction de respecter cette revendication et donc de ne pas en faire une affaire d’état, ni de punir. Faire une petite remarque telle que « ce dessin est plutôt mal fait, allez jeune homme faire un tour dans les musées pour voir ce qui s’y fait », et l’effacer en souriant et en soulignant que ce n’est peut-être pas l’endroit pour faire ce genre de dessin, que c’est plus approprié dans un cours de dessin. Et hop on passe à autre chose !
En conclusion, cette réaction inappropriée risque d’impacter la masculinité de ce jeune homme en n’entendant pas ce qu’il exprime fondamentalement. « Les bonnes gens » de Brassens à la bonne morale vont se sentir offensées, offusquées par ce pénis, ceux-là même qui vont encenser Courbet et vont bêtement punir sans même réaliser qu’ils tentent de castrer psychiquement ce jeune homme.
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(c) Ill. Bluespix. Musée d’Orsay. Courbet L’origine du monde, et Redon, La coquille.
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