J’ai visionné le documentaire de Yolande Zauberman intitulé « M » traitant de l’enfance violée en Israël dans les quartiers ultraorthodoxes. Un film violant, qui mérite plus qu’un néologisme.
Menahem est un jeune homme de 35 ans qui revient avec la réalisatrice sur les lieux de son enfance. Il raconte cette enfance violée et abusée par des hommes juifs pratiquants, travaillant dans les écoles rabbiniques où lui petit avait suivi son cursus de chanteur.
Menahem a été violé à partir de 4 ans par des juifs ultraorthodoxes. Il n’est pas le seul. Ils sont très nombreux à avoir été violés. D’autres témoignent face à la caméra.
La personnalité solaire et l’extrême franchise de Menahem rendent ce documentaire remarquable. Car Menahem dit tout sans tabou et sans fausse honte. Il parle des viols, met des mots sur tout ce qu’il a subi souvent avec un grand sourire ultra blanc contredit par des yeux remplis de larmes. Et nous sommes alors saisis, face à ce visage si beau et à cette peine extrême affleurant si délicatement, d’une infinie tristesse pour ce petit garçon qui est alors là, à nouveau, devant nous et qui raconte.
Il a été abusé a de nombreuses reprises. Il nous narre ces viols qui l’ont à jamais détruit. Il ponctue ses témoignages par des chants car il est devenu cantor.
Menahem est un être d’un bloc, il n’a plus de frontières, ni de limites car ce qu’on lui a fait a été au-delà de l’imaginable. Il raconte et témoigne de façon magistrale de ce que sont les conséquences absolument dramatiques des viols d’enfants pour la vie future de ces survivants.
Menahem parle de l’emprise des violeurs : « Il te donnait à manger, il te donnait des cadeaux, tu deviens son époux ».
Il nous parle de sa honte
En passant devant son ancienne synagogue où ont eu lieu les abus il dit à la caméra ; « Je ne peux pas y entrer, j’ai trop honte de ce que j’ai subi ». Car dans les viols d’enfants, l’enfant considère que c’est lui qui est responsable de ce qui s’est passé et a donc honte. La honte encore quand l’enfant violé rentre chez lui et dit : « quand on me l’a fait, mes vêtements étaient sales de ce qu’il m’a fait, je me suis couvert de boue pour que mes parents ne voient rien ».
L’enfant se sent coupable de l’abus et protège son violeur.
Il nous parle du plaisir
Menahem aborde également ce tabou énorme qu’est le plaisir de la personne violée. « J’ai eu peur, et j’ai aussi eu du plaisir ». Il parle de ces communautés ultraorthodoxes où les enfants ne sont pas pris dans les bras et où les marques d’affection et de tendresse sont interdites. « J’aurais acheté ses caresses ». Il dit : « qu’alors quand le violeur te touchait et te frottait, il y avait aussi du plaisir ». « Il y a des moments de plaisir dans le viol ». Car le corps répond aux stimuli, le violeur qui masturbe un enfant va lui donner du plaisir. Dans la tête de l’enfant abusé dorénavant la notion de plaisir et la notion de mal absolu sont intimement mêlés.
L’enfant est sali à tout jamais car il y a eu mélange du meilleur et du pire. Menahem résume par cette sentence lapidaire : « Tu es impur pour la vie ».
Menahem décrit le viol et la déconnexion du mental pendant les viols. « Je pensais à une chanson que j’aimais particulièrement et je me la chantais dans ma tête ». Il nous la chante alors avec ce sourire éclatant, des larmes plein les yeux.
Lorsqu’une personne fait l’objet d’abus, le mental pour une question de survie se déconnecte du corps ce qui permet à la victime de ne pas être présente psychiquement à ce qui lui est fait. Ainsi beaucoup de victimes se voient sortir de leur corps et regardent ce qu’elles subissent, en ne sentant rien, comme si elles voyaient un film.
La certitude qu’on va mourir accompagne les viols : « J’ai cru que j’allais mourir, ils ont détruit mon âme et mon corps », « Tu es obsédé par le mal qu’on t’a fait ». Les victimes d’abus sexuels sont toujours persuadées qu’elles vont mourir. Et ce n’est pas faux car lors d’un abus une partie de l’être abusé meurt réellement. Si je prends la métaphore de l’arbre, pendant l’abus une partie de ses racines sont coupées.
Le cercle vicieux de la répétition
Tout est impuni, les rabbins couvrent les abus. Vient le témoignage de ce gaillard qui a été abusé et qui dit avoir abusé un enfant à son tour : « Quand on me l’a fait rien n’est arrivé, je peux faire pareil sur un autre enfant ». La loi n’est pas mise et l’impunité provoque la répétition. Menahem répète en leitmotiv « J’ai été violé, j’ai été violé, ça a commencé à la maternelle ». « Tu es obsédé par le mal qu’on t’a fait tant que justice n’est pas rendue ». Le père de Menahem lorsque son fils lui a dit avoir subi des viols n’avait rien fait et l’avait exclu des rites religieux en le déclarant impur. Il fait ainsi reposer la faute et la honte sur la victime.
Une sexualité brisée
Le documentaire filme un transsexuel ayant été aussi abusé. Il aime être une femme car ce qu’il a subi n’existe plus alors. C’est resté dans son corps de garçon. L’abus a sali l’acte et le plaisir sexuel et toutes ces victimes déclarent avoir une sexualité chaotique, tel cet homme qui n’arrive pas à avoir d’érection et qui finalement a divorcé de son épouse faute de pouvoir faire l’amour avec elle.
En conclusion, « M » est un documentaire poignant plein de larmes. Je souhaite à cet enfant devenu homme de guérir et de pouvoir faire la paix avec son histoire. Je le remercie aussi d’avoir eu le courage de dépeindre avec autant de justesse et de vérité ce qu’il a ressenti et ce qu’il vit.
Ce documentaire de Yolande Zauberman est aussi et surtout une dénonciation absolument magistrale des dégâts que peut causer une société où le sexe est considéré comme sale et où les hommes frustrés vont chercher leur plaisir chez des enfants dont ils abusent.
Je souhaite que ce documentaire soit pour Menahem et pour toutes les victimes un début de justice.
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