Paule a quarante-deux ans. Elle annule son premier rendez-vous par texto quelques heures avant la séance m’informant qu’elle est trop mal, trop fortement dépressive pour pouvoir venir à mon cabinet. Je lui réponds que prendre un rendez-vous a dû, étant donné sa forte dépression, être un effort très important pour elle et que c’est un premier pas, que cependant, j’étais là si elle avait envie et surtout la force psychique de venir me consulter.
Le premier contact : étape fondamentale à l’instauration d’un lien thérapeutique permettant la guérison
C’est cette réponse tout en délicatesse qui va se révéler être le premier pas vers la guérison de Paule.
En ayant une attitude compréhensive sans marquer aucune désapprobation malgré l’annulation tardive de la séance et en lui disant que cette démarche entamée était un grand pas, Paule a fait l’expérience sans doute pour la première fois de sa vie, de ce que Winnicott appelle « une mère suffisamment bonne » à savoir une mère qui accueille et qui est présente même si l’enfant se comporte mal. Je pense que le transfert se fait ou ne se fait pas dès l’instant où le psychanalyste et son analysant entrent pour la première fois en contact l’un avec l’autre.
Ainsi, ma réponse la valorisait et lui laissait même une porte ouverte si elle le désirait.
Les dépressions cycliques de Paule
C’est donc quelques semaines plus tard que Paule arrive à mon cabinet, accompagnée par son compagnon, tant elle est lasse et affaiblie. Il la laisse devant ma porte et viendra la rechercher à la fin de la séance. Les six premiers mois, elle sera toujours accompagnée car trop faible pour se déplacer seule.
Elle a une petite fille de neuf ans et vit avec Grégoire depuis plusieurs années. Sa mère vient tous les jours pour s’occuper de Paule et de sa petite-fille. Paule est en effet incapable de gérer le quotidien, elle est fortement médicamentée, dort toute la journée, n’a pas de forces. Elle marche doucement et parle très lentement.
Paule pleure beaucoup en séance, elle se sent très coupable d’infliger son mal-être aux siens. Elle a honte.
Elle dit avoir pensé au suicide.
Elle plonge dans cet état dépressif à chaque mois de septembre. Cet état perdure tout l’automne et tout l’hiver, elle revit au printemps, elle est moins fatiguée et arrive à travailler.
La perte du père : un deuil non fait
Nous allons commencer par visiter son histoire. Paule a perdu son papa un mois de septembre, elle fait le lien entre ce décès et ses dépressions. Elle n’a pas du tout fait le deuil de son père qu’elle idéalise par-dessus tout.
Le deuil sera métabolisé par une séance issue de l’EMDR-TABC où Paule sera en proie à une tristesse infinie. Elle s’écroule en pleurs un nombre importants de fois. Elle finira la séance en étant absolument vidée de toute énergie, mais soulagée.
Une image idéalisée du père
Après le nettoyage du deuil, je lui propose de revisiter son enfance. Elle me dit avoir eu une enfance heureuse. Elle se souvient cependant après de nombreuses séances que son papa était alcoolique. Elle avait complétement occulté ce fait. Sa mère était séparée de lui et était en couple avec un autre homme. Paule vivait chez eux avec sa sœur depuis l’âge de 7 ans.
Les deux sœurs devaient aller en vacances et en week-end chez leur père. Elles n’aimaient pas ça du tout car elles craignaient cet homme qui était souvent ivre et qui les tapait. Leur mère n’avait rien voulu entendre et les y envoyait malgré leurs demandes répétées de ne plus y aller.
Peu à peu la mémoire revient à Paule, elle se demande comment sa mère a pu l’obliger à aller avec sa sœur chez cet homme violent.
Un abus refoulé
Remontent des souvenirs plus sombres. Elle est dans son lit et un homme rentre dans sa chambre et met ses mains sur son dos et sur son sexe. Elle ne se souvient de rien de plus mais cet embryon de souvenir a pour effet de réduire sa dépression, elle est de plus en plus là et commence en accord avec son médecin psychiatre à réduire les médicaments. Elle vient seule aux séances et va à son travail plus régulièrement.
Elle conscientise que son père a été violent et sans doute l’a agressée sexuellement. Je valide cette hypothèse car un peu plus tard nous allons désensibiliser un viol qu’elle a subi à l’âge de 19 ans. Ce viol fait partie de ce que nous appelons un phénomène de répétition. Selon cette théorie, Paule a sans doute subi un abus sexuel très jeune. Cet abus l’a en quelque sorte formatée et quand un nouvel abus survient, elle est sidérée et en incapacité à se défendre car elle revit son abus lorsqu’elle était plus jeune. Or, une petite fille abusée ne peut rien contre son abuseur.
Une mère pas si douce
Un peu plus tard, un nouveau personnage va surgir dans son travail psychanalytique : sa mère. Elle est effectivement très présente dans la vie de sa fille. Paule conscientise très vite qu’elle est toxique et que son état dépressif l’arrange d’une certaine manière car elle gère absolument toute la vie de sa fille et de sa petite-fille. Elle s’immisce dans tout et n’arrête pas de dénigrer sa fille et sa petite-fille qui commence à souffrir de troubles du comportement alimentaire, elle est en surpoids, en souffre, sa grand-mère ne se prive pas de la critiquer et de la rabaisser ce qui a un effet délétère sur Cloé.
La mise à distance progressive pour une reprise en main de sa propre vie
Paule va demander à sa mère de cesser de vivre chez elle et de retourner dans son appartement. Après de vives discussions, des reproches et une allusion à une possible rechute de Paule, cette mère envahissante va accepter de lâcher prise sur sa fille et sa petite-fille. Il faudra encore de nombreuses séances de psychanalyse pour analyser les épisodes traumatiques entre elles deux et des séances d’EMDR pour permettre à Paule de se libérer du sentiment de culpabilité qui l’envahit quand elle refuse de faire ce que sa mère exige souvent.
Cette coupure du cordon avec cette mère va définitivement permettre à Paule de se débarrasser de sa dépression.
Dépression : causes multiples
En finalement moins de douze mois, Paule est parvenue à mettre fin à une dépression qui la submergeait depuis de nombreuses années.
Cette dépression provenait d’une histoire fictive, d’un conte de fées qu’elle s’était inventée relativement à son enfance difficile. Cette distorsion la mettait dans une incapacité à avancer dans sa vie. Car comment vivre si la réalité qui est connue par notre monde interne est tellement différente de celle que nous nous sommes inventés pour survivre ?
Le travail psychanalytique aura permis de mettre en conformité le vécu refoulé et la mémoire de Paule. Cette réparation l’a ancrée dans la réalité.
Paule et sa famille ont quitté la France pour s’installer dans un autre pays où elle a ouvert avec son compagnon un commerce dans lequel elle excelle.
Elle me donne de temps à autre de ses nouvelles, va bien et vit sa vie en pleine conscience.
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Article initialement publié en juillet 2020, remanié depuis.